En grandissant, je m’intégrais doucement et appartenais à un petit groupe de pseudo-révolutionnaires en capuches et smartphone. Elsa était des nôtres malgré les réticences de sa maire de mère. Cette dernière était passée in extremis. Beaucoup pensaient qu’elle avait volé l’élection et elle-même ne semblait pas fière à ce poste. Je n’attendais pas grand chose des adultes, mais elle semblait différente. Elle écoutait, s’intéressait, était curieuse de mon histoire. Mais elle n’imaginait pas un instant que mon expérience de blédard et l’histoire malheureuse de mon peuple puissent lui servir pour gérer sa mairie.
Quand je lui ai dit que son incinérateur était dangereux, inefficace et brûlait de l’eau, elle a littéralement pété les plombs. Pourtant, il suffisait de lire les rapports, les taux de toxines des terres autour de l’incinérateur avaient largement dépassé la côte d’alerte, le taux de matière organique des sols baissait franchement, la population de vers de terre devenait famélique. Ça me paraissait simple, au vieux maraîcher aussi d’ailleurs. On interdit le plastique, on composte les déchets alimentaires et on ferme l’incinérateur.
Tout avait déjà été dit, écrit. La COP sur les sols faisait état de 40% des sols mondiaux en état de dégradation. On savait pour les micro-plastiques, le 7ᵉ continent, le réchauffement… Les géologues actaient que l’humain avait transformé la Planète. Le vivant était sous embargo.
Je continuais d’étudier, me passionnais pour Charles Darwin et sa manie de compter les crottes de vers de terre dans son jardin. Il leur avait dédié 2 décennies de sa vie, avait découvert bien avant d’autres que ce qui se passe sous nos pieds est capital, que les vers de terre jouent un rôle déterminant dans la vie, qu’ils sont nos parents à tous en quelque sorte.
C’était un jour étouffant d’automne 2025, la “grande grève” avait démarré depuis suffisamment longtemps pour que l’on s’inquiète d’un retour du choléra !! Le vieux maraîcher, son tracteur et sa casquette étaient venus me voir avec un air amusé et gourmand. “Tu viens fieuw ? On va leur expliquer à ces mains tendres que nos sols ne peuvent plus attendre !” J’étais monté sur le tracteur et écoutais son plan. Comme d’habitude, cela tenait en peu de mots et beaucoup d’évidences.
Pendant plusieurs semaines, je l’accompagnais pour faire le rippeur de tracteur et dépoter les déchets alimentaires de la ville sur ses champs. Ça sentait fort la vie en devenir, le boulot était fatiguant, mais le soutien de la population et le sourire narquois du vieux maraîcher me faisaient lever le matin avec plaisir et détermination.
Les événements s’étaient accélérés et me donnaient enfin raison. Diplômé, enfin crédible, la Maire m’appelait à minuit, elle avait enfin vu la lumière !